HPE
Vous êtes nombreux à me téléphoner pour réaliser un dépistage du « Haut Potentiel Emotionnel », ayant découvert ce concept dans les médias ou dans la bouche d’un psychologue. Ainsi, les demandes d’évaluations du HPE abondent dans les cabinets de consultation psychologique. Le terme HPE, emprunté au HPI suggère la présence de compétences émotionnelles plus importantes qu’une norme établie.
Le terme HPE semble renvoyer à des aptitudes émotionnelles plus importantes, plus développées… Google permet d’obtenir plusieurs définitions de ce à quoi fait appel ce concept.
Pourtant, à ce jour, aucun article scientifique ne fait appel à cette terminologie. Questionnant non ? Les HPE sont partout dans les médias et les blogs de psycho / personnes (auto)diagnostiquées… mais la littérature scientifique est inexistante sur ce propos.
Forte de ma volonté de comprendre vos demandes, je me suis penchée sur la question. Et là, je déchante.
Certains psycho proposent des questionnaires, des listes de caractéristiques du HPE, sans aucun fondement scientifique encore une fois.
Réfléchissons quelques instants … mesurer le potentiel émotionnel… ce n’est pas chose facile. Les questionnaires en auto-report (évaluant votre perception de vous-même) sont soumis à des biais évidents.
Par exemple, à la question (que j’invente) « Est-ce que vous pleurez encore devant Bambi alors que vous êtes une mère de famille de 3 enfants ? », la réponse Oui pourrait suggérer que vous êtes en effet plus sensible, ou une chochotte ou une adulte incapable de réguler vos émotions…
Mais on pourrait se questionner sur ce qui vous fait pleurer : le fait d’infliger cette scène à vos enfants, l’empathie dont vous faites preuve pour ce pauvre Bambi, la confrontation au caractère presque pervers de Walt Disney qui s’est dit que c’était une bonne idée d’exposer nos petits à ce type de vécu ou encore la colère que vous éprouvez face à ce vilain chasseur… les processus sous-jacents ne sont pas les mêmes, ce qui rend les choses d’autant plus complexes. Donc une réponse à un questionnaire, en tout ou rien ou en échelle de points ne semble pas tout à fait adaptée…
L’émotion englobe 3 composantes distinctes : la composante physiologique (liée à l’activation du système nerveux autonome et du système endocrinien), la composante subjective (l’évaluation que l’on fait de notre état émotionnel) et la composante comportementale ou expressive (les expressions faciales, la posture, le ton de la voix).
Pour mesurer tout cela, vous imaginez bien l’arsenal qu’il faut déployer. Ce n’est donc possible qu’en laboratoire.
En effet, pour mesurer le rythme cardiaque, la réponse électrodermale, la fréquence respiratoire et l’activité cérébrale il faut du matériel spécifique, disponible en laboratoire uniquement.
Donc, en pratique, le potentiel émotionnel n’est pas évaluable en cabinet ou par le biais d’un simple questionnaire qui n’a aucun fondement scientifique.
Je serais donc tentée de dire que le Haut Potentiel Emotionnel n’existe pas.
Entrons maintenant dans des considérations plus scientifiques… (vous pouvez vous arrêter là si vous le souhaitez, le résumé qui suit peut être un peu indigeste !)
Des chercheurs se sont intéressés à la notion d’intelligence émotionnelle (IE) qui a été formalisée par Salovey & Mayer (1990) comme « la capacité à raisonner au sujet des émotions et à les utiliser afin d’enrichir la pensée ». Cela comprendrait la « capacité à identifier les émotions, à générer les émotions adéquates pour faciliter la pensée, à comprendre les émotions et à gérer ses émotions de manière à promouvoir la croissance émotionnelle et intellectuelle » (Mayer, Salovey et Caruso 2004). De cela a émergé deux façons opposées d’appréhender l’IE, qui s’exprimerait soit sous la forme d’une habileté (Mayer, DiPaolo, & Salovey, 1990; Salovey & Mayer, 1990), soit sous la forme d’un trait.
L’IE habileté englobe la perception, l’utilisation, la compréhension et la gestion des émotions. Il s’agirait alors de compétences acquises, dont l’expression pourrait varier selon les situations et qui pourraient être entraînées de façon à être développées.
A l’opposée, l’IE trait serait essentiellement fondée sur la personnalité et les dispositions comportementales d’un individu et donc plus stable dans le temps.
Des échelles d’évaluation ont donc été créées afin d’évaluer ces dimensions mais comme vous le comprenez, on parle de choses différentes au sein d’un même concept.
Les différentes études réalisées sur les effets de l’IE auprès de la population normale montrent que ceux-ci sont plutôt positifs. L’IE serait reliée positivement aux performances académiques (Parker et al, 2004 ; Petrides, Frederickson & Furnham 2004) mais également à la taille et à la qualité du réseau social (Ciarrochi & al., 2001). Elle serait par ailleurs négativement reliée à l’usage illégal de drogue ou d’alcool, à l’apparition de comportements déviants (Brackett et al., 2004) ainsi qu’à la dépression (Dawda & Hart., 2000).
Auprès de la population HPI, plusieurs études sont en faveur d’une IE aptitude plus élevée chez les jeunes HPI (Mayer, 2011 ; Zeidner et al., 2005). Pour l’IE trait, Brasseur & Grégoire (2010) ne trouvent pas de différences significatives entre les jeunes HPI et les sujets contrôle évalués.
Ainsi, il n’y a pas de consensus sur la présence d’une IE spécifique à la population du HPI. La limite qui peut être apportée à ces études réside dans le choix des outils d’évaluation qui se concentrent sur une dimension plutôt qu’une autre de l’intelligence émotionnelle et qui ne permet pas d’appréhension globale. Pour dépasser le débat IE trait Vs IE habileté, certains auteurs ont proposé une nouvelle conceptualisation de l’IE sous la forme des compétences émotionnelles.
De ce fait, la notion d’intelligence émotionnelle est délaissée à ce jour au profit des compétences émotionnelles (Brasseur et al., 2013) laissant supposer que celles-ci peuvent s’acquérir et se développer (Nelis et al., 2011 ; Kotsou & al. 2011). Ainsi, les compétences émotionnelles (CE) sont définies comme « la capacité -mise en pratique – à identifier, à comprendre, à exprimer, à gérer et à utiliser ses émotions et celles d’autrui » (Mikolajczak, 2014).
Dans ce cadre, Mikolajczak (2008) a proposé le modèle tripartite postulant que les CE se déclinent sur 3 niveaux que sont les connaissances, les habiletés et les traits qui interagissent mais sont modérément corrélés (Mikolajcazk, 2014). Ces trois niveaux sont définis comme tels : les connaissances sont les « connaissances implicite et explicites de l’individu » sur l’identification, la compréhension, l’expression, la régulation et l’utilisation des émotions. Les habiletés concernent « capacité de l’individu à appliquer ses connaissances en situation émotionnelle » et les traits renvoient à la « propension de l’individu à se comporter de telle ou telle manière dans les situations émotionnelles ».
A partir de ce modèle, un nouvel outil d’évaluation des CE a été proposé : le Profil de Compétences Emotionnelles élaboré par Brasseur & Mikolacjczak en 2012. Cet outil a été utilisé par Brasseur & al. Auprès de jeunes HPI et a mis en évidence des CE moins développées chez les HP au niveau intra-personnel mais de meilleures CE au niveau interpersonnel (Brasseur 2013).
Vous voyez donc à travers ce petit résumé qu’il reste bien complexe de répondre précisément à cette question…
Je reviendrai vers vous plus tard avec, je l’espère, de nouvelles précisions car les compétences émotionnelles font partie de mes choix d’exploration dans le cadre de ma thèse !
Quelles que soient vos compétences émotionnelles, votre potentiel émotionnel, votre vie émotionnelle, si vous trouvez que c’est parfois trop difficile à gérer, que votre envahissement est excessif ou que votre régulation n ‘est pas optimale, il existe de nombreux outils et stratégies pour vous rendre la vie plus douce. N’hésitez pas à vous faire accompagner dans cette idée.
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