Annonces gouvernementales et colère des psychologues
Vous le savez certainement puisque certains d’entre vous m’ont interrogée à ce sujet, un projet de loi est sorti en avril 2021 concernant la pratique des psychologues, avec notamment la volonté de créer un ordre (actuellement nous sommes seulement régis par un code de déontologie) mais aussi celle de rembourser les séances. Dans le fond, ce sont de bonnes idées, mais en pratique… les propositions effectuées sont INDECENTES.
Pour commencer, on propose d’être assujettis à la prescription médicale : c’est à dire que lorsque vous ou votre enfant n’irez pas bien, avant de pouvoir prendre rendez-vous avec un psychologue dont les techniques vous parlent ou dont on vous a dit du bien, il va falloir que vous vous rendiez chez votre médecin généraliste (qui a parfois très peu de connaissances en santé mentale, et pour cause, ce n’est pas son boulot) qui, lors de sa consultation va devoir évaluer votre niveau de dépression ou d’anxiété pour vous autoriser ou non à aller ensuite consulter un professionnel de la santé mentale… Déjà là, ça me pose un problème. L’évaluation proposée est elle aussi indécente (oui je crois que je vais me répéter) non seulement parce qu’on nous rabâche pendant toutes nos études qu’une échelle d’évaluation seule ne permet pas de poser un diagnostic et que sa passation doit absolument être accompagnée d’un entretien clinique (qui dure généralement 1 heure…). Donc, en 15 minutes, sur la base d’une échelle qui sort de nul part (en tout cas pas de la psychométrie dont on se sert dans nos cabinets, soumise à plusieurs contraintes que sont la validité, la fidélité et la sensibilité…), votre médecin va vous donner l’autorisation ou non de venir nous consulter… Avec toute l’estime que j’ai pour mes amis et confrères médecins (je travaille dans une maison médicale), je pense que c’est nous décrédibiliser dans notre capacité à accueillir par nous-mêmes les personnes dans le besoin. C’est aussi ignorer la souffrance qui ne serait pas assez significative… : « non non, votre score n’est pas assez élevé, vous ne pouvez pas aller voir un psychologue ! »
Deuxième point : la durée de ces séances. Une séance de psychologie dure généralement entre 45 minutes et 1h (plutôt 1h chez moi voire plus selon les besoins…) et devra, suite à cette proposition, se réduire à 30 minutes (« Bonjour madame /monsieur, comment ça va cette semaine, que s’est-il passé depuis notre dernière séance, comment avez-vous mis en pratique les exercices proposés, à combien côtez vous votre humeur / anxiété…. Ah c’est déjà l’heure ! Bon bah à la prochaine fois, vous continuez comme ça surtout ! »). Autant dire qu’en 30 minutes, on avance pas beaucoup et encore moins dans mon courant de TCC : quand on fait des séances d’exposition, dans la mesure où une exposition peut durer 20 minutes…ça ne nous permet pas d’être vraiment proactif…
Troisième point : le tarif. Là, je reprends le terme indécent … 22 euros les 30 minutes. Soit, après paiement de nos charges : 11 euros les 30 minutes. Donc j’ai fait 8 années d’études, je me forme en continu, j’ai la prétention d’essayer de continuer à faire évoluer ma pratique et de l’enrichir, pour gagner 22 euros de l’heure. A 11 euros la séance, je peux être la plus empathique du monde, je dois aussi rester pragmatique : je change de boulot. Et pourtant celui-ci me passionne clairement.
Voilà…
Par contre, il n’y avait aucun problème pour nous solliciter comme « renfort covid » pour accompagner les patients et leurs familles pendant la crise sanitaire… Et il n’y en a pas pour qu’on « ramasse » aujourd’hui toutes les personnes qui ont souffert de la crise.
Mais quand il s’agissait de nous rendre personnel prioritaire pour la garde de nos enfants pendant les différents confinements de façon à pouvoir continuer à suivre dans les meilleures conditions nos patients (je n’adhère pas à la téléconsultation mais cela m’appartient), le gouvernement nous a bien laissé tomber. Pourtant je crois qu’on a tous des patients « graves » dans nos cabinets, dont la continuité des soins est essentielle afin d’éviter décompensations, conduites parasuicidaires, TS….
Voilà pourquoi nous sommes un peu fâchés… Je ne compte pas adhérer à ce principe de psychologie au rabais : voir plus de patients pour gagner nos vie dignement, arrêter de nous former car nous n’en aurons pas les ressources…
En attendant, je dois saluer les mutuelles qui se mobilisent pour prendre en charge davantage de séances, ça c’est vraiment chouette, bien que parfois toujours insuffisant je le conçois.
Le 10 juin prochain, les psychologues se mobilisent massivement, contre ce projet de loi.
J’espère maintenant, chers patients, que tout cela est plus clair pour vous, et que vous comprenez mieux en quoi cela nous dérange.
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